« Je n’accepterai pas une nouvelle hausse de fiscalité en 2018 »

Discours de Guillaume LEPERS lors de la session du 10 novembre 2017.

 

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Je tiens évidemment à m’associer à l’hommage qui a été rendu à Michel Diefenbacher et Gilbert Fongaro. Ce sont deux monuments de la vie politique lot-et-garonnaise qui nous ont quitté coup sur coup et je souhaite, au nom de notre groupe, saluer une fois de plus leur mémoire.

Michel Diefenbacher, après une très brillante carrière de préfet, avait choisi l’engagement politique sur notre territoire. Il a fait ce choix avec conviction, sans jamais se départir des qualités de probité et loyauté inhérentes à ses premières fonctions et son tempérament. Après avoir été un grand serviteur de l’Etat, il a été un grand serviteur du Lot-et-Garonne, dans ses fonctions de Président du Conseil général évidemment, mais également à l’Assemblée nationale et au Conseil régional.

Michel Diefenbacher a indubitablement fait avancer notre territoire. Il l’a fait en engageant les grands chantiers de contournement de Marmande, Agen et Villeneuve-sur-Lot. Il l’a également fait en gérant avec attention les deniers publics des Lot-et-Garonnais, laissant en 2008 une collectivité bien gérée. Et en fin connaisseur de la chose publique, il avait prédit, dans une lettre adressée aux Conseillers généraux au moment de son départ, les difficultés financières que nous connaissons aujourd’hui.

Avec Gilbert Fongaro, qui fut son Premier Vice-Président, c’est un autre élu emblématique de notre département qui s’en va. Il fut longtemps l’un des piliers du Conseil général, et l’instigateur de politiques départementales structurantes telles que le Tremplin rural et le Pass bonne conduite.

Mais comment évoquer Gilbert Fongaro sans parler de Pont-du-Casse, où il construisit une belle carrière professionnelle et devint le maire indéboulonnable et visionnaire que nous connaissons. Il fut un maire à la fois bâtisseur et organisateur d’une expansion démographique qui a fait de sa commune l’une des plus importantes de l’Agenais. Et il constitue en cela un modèle d’acteur public responsable et engagé.

Aussi, au moment où l’action publique se trouve profondément bouleversée, où l’engagement politique est particulièrement questionné, et alors que nos collectivités, Département en tête, font face à des vents contraires, il est bon de prendre exemple sur nos illustres prédécesseurs, pour fonder nos actes et nos discours sur le roc de l’intérêt supérieur du territoire.

C’est dans cet esprit que j’aborderai cette session du Conseil départemental, qui intervient donc dans un contexte à la fois solennel, pour les raisons que nous venons de rappeler, mais aussi dans un contexte de danger pour notre institution, qui appelle de notre part sérieux et responsabilité.

Monsieur le Président, je partage votre position sur le sort réservé aux départements ruraux. Il est est insupportable de voir ces collectivités contraintes à augmenter fatalement leur fiscalité pour pallier leur manque de ressources, quand les départements riches maintiennent les taux les plus bas.

C’est une injustice territoriale qui, certes n’est pas nouvelle, mais a beaucoup prospéré ces dernières années, sous l’effet conjugué des baisses de dotations et de l’augmentation des dépenses sociales. Et je regrette que, dans le cadre de sa réforme territoriale, le pouvoir précédent n’ait pas eu le courage de traiter cette question, pourtant brulante pour nos territoires.

Le gouvernement actuel ne semble pas plus enclin à engager une action forte pour assurer la viabilité financière des départements, si ce n’est, comme l’a fait le précédent, par des fonds d’urgence dont nous sommes réduit à espérer chaque année l’obole. En cela, les déclarations du Premier ministre lors du dernier congrès de l’ADF ne traduisent en rien la perspective de solutions pérennes.

Or, le peu d’empressement du gouvernement à intervenir s’explique aisément. Cette inaction est motivée par la bonne santé financière des départements au niveau national, telle que décrite récemment par la Cour des comptes.

Son rapport annuel sur les finances publiques locales est en cela riche d’enseignements. Il démontre l’amélioration globale de la santé financière des départements, qui repose tout autant sur l’augmentation des recettes que sur la réduction des dépenses.

L’augmentation des recettes est essentiellement liée à la hausse des produits de fiscalité. En 2016, 35 départements ont voté une hausse de leur taux de taxe foncière, ce dont a résulté une progression jamais vue du produit de cette taxe au niveau national.

Par ailleurs, de très nombreux départements sont parvenus à réduire leurs dépenses de fonctionnement, hors dépenses sociales,  permettant une stabilisation globale de ces dépenses à + 0,1 %. Et même en matière de dépenses sociales, la décrue s’annonce : après avoir augmenté de 4,1 % en 2014, elles décélèrent à 3,2 % en 2015 pour passer à 2,1 % en 2016.

Le tableau dressé par la Cour des comptes sur les finances départementales révèle donc une amélioration globale, portée par des hausses de fiscalité, une décélération de la dépense sociale et des efforts importants de gestion. Un constat qui m’incite malheureusement à penser que le gouvernement ne mettra pas en haut de ses priorités la question départementale.

Or le problème, chers collègues, c’est que notre collectivité ne participe pas à cette amélioration globale. Elle fait même partie des départements les plus en difficulté ! Pourquoi ?

Une partie de la réponse se trouve dans le refus, exprimé par toutes les composantes de cette assemblée, d’augmenter la fiscalité ces dernières années. Nous ne voulions pas charger un peu plus le fardeau fiscal des Lot-et-Garonnais, déjà bien assez alourdi par l’Etat. Et je persiste à penser que le levier fiscal doit être la dernière des solutions.

La seconde partie de la réponse se trouve dans la gestion de la collectivité, en particulier dans ses dépenses de fonctionnement, puisque c’est aussi à ce niveau qu’ont agi les autres départements. Mais cette gestion appelle, à mon sens, plus de questions que de réponses. Et à ce titre, Monsieur le Président, les Conseillers départementaux comme les Lot-et-Garonnais ont besoin de réponses précises.

Dans le rapport de la Cour des comptes, je lis, Monsieur le Président, que 77 départements sont parvenus à réduire leurs dépenses de fonctionnement en 2016. Je lis que le Lot-et-Garonne fait partie des six départements dont l’augmentation des charges de fonctionnement a été supérieure à 2 %. Je lis aussi, que cette évolution est calculée hors dépenses sociales et hors dépenses d’hébergement. Aussi Monsieur le Président, comment expliquez-vous cette augmentation des dépenses de fonctionnement, encore une fois, hors dépenses sociales et hors dépenses d’hébergement ?

Dans ce rapport, je lis également, Monsieur le Président, que les dépenses de personnel ont reculé en moyenne de 0,2 % en 2016. Or il est inscrit à notre compte administratif une augmentation de 3,7 % de ces mêmes dépenses de personnel. Une progression que vous aviez justifié par des mesures gouvernementales, comme la hausse du point d’indice.

Aussi Monsieur le Président, comment expliquez-vous que nos charges de personnel augmentent plus fortement que les autres départements, alors que nous sommes soumis aux mêmes mesures gouvernementales ? Par ailleurs, cette augmentation pourrait-elle être justifiée par l’embauche de 25 agents supplémentaires entre 2015 et 2016, et notamment de 11 cadres de catégorie A, comme établis dans le tableau des effectifs ?

Enfin, Monsieur le Président, je lis que le Lot-et-Garonne était, en 2016, le seul département à connaître une épargne nette négative, ce qui semble être la conséquence logique des éléments que j’évoque.

Ce constat, chers collègues, il est établi par une institution pluri-séculaire, reconnue mondialement pour son expertise – puisque je rappelle que la Cour des comptes certifie les comptes de l’ONU – et qui sait faire la différence entre un budget primitif et un compte de gestion.

Monsieur le Président, le groupe que j’ai l’honneur de présider travaille. Il participe aux travaux de l’assemblée, il fait des propositions, mais il a besoin de données et d’informations précises sur la situation de la collectivité. C’est le sens des questions que je viens de vous poser.

Entendez-nous Monsieur le Président. Ecoutez-nous. Car l’expérience démontre que nous n’avons pas toujours tort.

Nous n’avions pas tort, lorsque que nous mettions en garde contre l’évolution de nos finances et le risque de mise sous tutelle. Nous n’avions pas tort lorsque nous demandions une commission ad hoc pour réfléchir sur nos finances et l’avenir de nos politiques, même si les préconisations qui en sont sorties n’ont, pour la plupart, pas été appliquées. Nous n’avions pas tort quand nous demandions un contrôle financier de la collectivité. Nous n’avions pas tort quand nous demandions un meilleur contrôle des allocations de solidarité, qui fait d’ailleurs l’objet d’une recette supplémentaire dans cette DM. Nous n’avions pas tort, lorsque nous proposions une baisse des indemnités des Conseillers départementaux, fusse-t-elle symbolique, pour accompagner les efforts demandés aux Lot-et-Garonnais.

Mes chers collègues, les dernières élections présidentielle et législatives ont démontré l’ampleur de la défiance de nos compatriotes à l’égard de nos partis traditionnels. Ils nous ont signifié leur aspiration à une pratique politique renouvelée, moins clivante, plus constructive.

Nous devons tirer les leçons de ces élections. Et c’est pour cela qu’au-delà de nos désaccords, nous continuons de faire des propositions. Pour mieux gérer la collectivité, pour mieux contrôler nos dépenses, pour mieux mesurer l’efficience de nos actions, en particulier dans les domaines qui mobilisent la majeure partie de nos finances.

Vous avez pris des dispositions, ces toutes dernières années, pour tenter d’endiguer la crise. Vous avez notamment supprimé certains régimes, vous en avez réduit d’autres, vous vous êtes désengagés de certaines structures.

Parce que la situation financière l’exige, et parce que nous n’avons plus le choix, nous vous proposons d’aller plus loin.

Nous vous proposons de fonder nos décisions sur le contrôle de gestion que vous avez mis en place l’an dernier. Il existe, il est nécessaire d’en transmettre les conclusions aux Conseillers départementaux pour, encore une fois, travailler, avancer sur de nouvelles pistes d’économies.

Nous vous proposons d’engager un véritable plan de stabilisation de la masse salariale. Rappelez-vous, il faisait partie des préconisations que nous avions adoptées en commission de refondation des politiques départementales. Vous aviez prévu une stabilisation en 2018, mais avec une progression de 4 % de la masse salariale cette année, nous serons loin de l’objectif. Arrêtons de renforcer les équipes de direction, comme vous le disiez Monsieur le Président, et engageons un plan pour parvenir à cette stabilisation promise l’an prochain.

Nous vous proposons, comme nous le faisons depuis deux ans, de revoir ensemble tous les régimes d’aide. De mesurer l’utilité, l’efficience, le coût de chacun d’entre eux. Il faut aller au-delà du simple choix politique dans ce domaine, et regarder l’ensemble de nos interventions.

Nous vous proposons de mettre en place des indicateurs de performance pour nos politiques sociales, notamment dans le domaine de l’insertion comme le préconise la Cour des comptes, pour améliorer l’efficience de nos actions.

Nous vous proposons d’auditer les nombreuses structures associatives que nous finançons, notamment dans le domaine social, pour, là aussi, vérifier la bonne utilisation de nos financements et l’efficience des actions menées. Nous pourrions, dans ce domaine, engager un dialogue constructif avec le monde associatif, pour déterminer avec eux les interventions que le Département à vocation à financer.

Nous vous proposons à nouveau de suggérer du bénévolat près de chez eux aux bénéficiaires du RSA. Cela permettrait de lutter contre la désocialisation, faciliter le retour à l’emploi et donc de limiter le coût de nos interventions. Une mesure qui peut également permettre d’endiguer la crise du bénévolat que nous constatons sur nos territoires.

Nous vous proposons réviser nos procédures d’élaboration des plans d’aide aux personnes âgées et du choix des modes d’hébergement, en prenant davantage en compte les incidences financières de nos choix. La Cour des comptes nous indique qu’il existe des marges de manœuvre substantielles à rechercher dans ce domaine.

Nous vous proposons de revoir l’organisation de nos services, en fusionnant encore certaines directions, certaines commissions et certaines vice-présidences, comme nous vous l’avions déjà dit.

Voilà des propositions concrètes, cohérentes, non exhaustives j’en ai conscience, mais qui peuvent nous permettre de sauver ce Département.

Car c’est bien de sauver notre collectivité dont il s’agit, Monsieur le Président, chers collègues, pour sauver avec elle ses politiques structurantes et utiles aux Lot-et-Garonnais.

Et je vous le dis très clairement : je n’accepterai pas une nouvelle hausse de fiscalité en 2018.

J’ai vu trop de colère, d’exaspération, de découragement parfois, pour accepter un tel augure. J’ai vu trop de mes concitoyens dégoutés de la politique, en voyant leur taxe foncière augmenter de 20 %, alors qu’en même temps, ils voient l’Etat et certaines collectivités se désengager de leur territoire. J’ai vu trop de mes concitoyens me dire qu’ils sont encore une fois les pigeons, victimes d’un système fiscal qui tape toujours sur les mêmes.

Je vous le dis parce que je vois poindre l’année 2018, et avec elle les mêmes difficultés, les mêmes impasses, qui ont fait de 2017 une année noire pour le Département. Je vous le dis parce que, si nous avons été élus, nous tous ici présents, c’est pour porter la voix de nos concitoyens dans cet hémicycle.

Alors prenons le taureau par les cornes. Arrêtons de nous cacher derrière un verbiage politicien que, de toute façon, les électeurs n’entendent plus. Et changeons, faisons évoluer nos politiques, notre culture administrative, notre organisation. Parce que c’est notre responsabilité.

Je vous remercie.

 

Crédits photo : XC – CD47